Hassan El Mazouni a aujourd’hui 59 ans. Il est professeur de langues orientales, iranologue et directeur de recherches à l’Université de Marrakech.
La Villa Nomade est la maison de son enfance, où il a grandi avec ses sept frères et sœurs jusqu’en 1975. C’était la demeure de son grand-père, Mohamed Ben Abdelsalam El Mazouni, un riche commerçant d’étoffes et érudit propriétaire terrien polygame, né en 1900.
Il acquiert le riad pour ses 50 ans et y mène une vie d’aristocrate, entouré de ses deux femmes et de ses 18 enfants, et petits-enfants. Il termine les travaux entrepris par les précédents propriétaires du riad, restaure les toits et les murs avec les meilleurs matériaux disponibles, et fait construire une douria (maisonnette) supplémentaire à l’étage.
Tous vivent en bonne harmonie dans cette bulle protectrice que le grand-père régente avec autorité et générosité. Il insiste pour que chacun de ses enfants et petit-enfants (9 hommes et 9 femmes) accèdent à une éducation supérieure.
Le riad comptait une vraie salle de classe équipée d’un grand tableau noir où une des tantes de Hassan leur délivrait des cours d’anglais, d’arabe et de français. Le fki de l’école coranique du quartier (homme de foi) venait également le vendredi enseigner le Coran aux enfants. C’était d’ailleurs le seul étranger autorisé à pénétrer le riad.
Le riche grand-père a fait de l’éducation de sa famille son cheval de bataille. Il n’a pas hésité à envoyer ses enfants et petits-enfants étudier à l’étranger, mais aussi à voyager pour qu’ils découvrent le monde et s’ouvrent à d’autres cultures. Quelques-uns des membres de la famille se sont installé à l’étranger, de Paris jusqu’au Texas aux Etat-Unis, pour y faire de brillantes carrières. Ceux qui ne deviendront pas professeurs d’université ou chercheurs, intègreront rapidement l’entreprise familiale et développeront l’activité commerciale du grand-père.
Hassan se rappelle avec douceur les habitudes de son grand-père. Il aimait s’asseoir dans un coin de la grande cour, juste à côté de son bureau qu’il avait installé dès l’entrée du riad afin que personne n’ait à traverser la maison. Il écoutait les nouvelles depuis son poste de radio, installé dans son fauteuil préféré. Tous savaient qu’à ce moment il n’était pas permis de le déranger.
Malgré la grande ouverture d’esprit du grand-père, les femmes de la maison n’avaient pas le droit de sortir seules de la maison. C’est surtout pour cette raison qu’il fit installer un hammam au cœur du riad.
Lorsque le père de Hassan se marie avec la femme choisie par le patriarche, il lui réserve une partie premier étage, ainsi qu’un salon face à la grande cour. Ce salon, comme les 2 autres de la maison, portait le nom d’une ville marocaine réputée pour ses spécificités météorologiques. Ainsi le salon des parents de Hassan a été baptisé Essaouira, car c’est celui qui gardait le plus de fraîcheur pendant l’été.
La vie au riad était paisible et joyeuse, et Hassan n’en a que de doux souvenirs. Très reconnaissant qu’aucune de ses caractéristiques n’ait été changée aujourd’hui, il aime y venir faire un tour et s’y sent encore un peu chez lui.
Selon Hassan, de nombreux riads ont été déformés pendant leur restauration, et la Villa Nomade est un des rares à avoir gardé sa structure originelle, ainsi que les matériaux traditionnels d’un ancien riad. L’appellation de riad correspond à des règles très précises : Sa surface ne doit pas être inférieure à 600m2. En son centre doit se trouver la grande cour carrée rafraichie par un petit bassin ou une fontaine, représentant la vie. A chaque angle de la cour sont plantés des palmiers, symboles de l’opulence marrakchie, des fleurs parfumées et des bougainvilliers, pour la gaité de leur couleur. Il doit également comporter 3 koubas (grands salons) dispersés entre le rez-de-chaussée et le premier étage. Il arrive qu’un riad compte plusieurs cuisines, selon le nombre de familles y habitant. La terrasse est le seul étage au-dessus du premier. C’est l’endroit où l’on vient se détendre et se retrouver le soir, avec la vue sur la ville.
En bon historien, Hassan s’est intéressé aux origines de ce riad, et en a retrouvé la trace dans de très vieux livres : Al Mou’jib de l'historien Abdelwahid al Mourrakouchi ainsi qu’Al Istibsare d’un historien anonyme. Sa construction aurait commencé en 1184 et duré 8 ans. Sa fonction était celle d’un « bimaristane », une institution hospitalière et plus précisément une maison de convalescence. Son emplacement dans le quartier paisible de Zaouïa, n’aurait pas été choisi par hasard : l’est de Marrakech étant réputé pour son calme et ses jardins, il s’avérait idéal pour une maison de repos. Sa proximité du mausolée de Abou El Abbas es-Sebti, 3ème grand Saint de Marrakech, vénéré de tous les Musulmans, a fait de l’emplacement du bimaristane une évidence.
Abou Ishak Addani, le « toubib », examinait les malades du bimaristane, aidé par son équipe d’assistants hommes et femmes, et disposait d’un laboratoire au sein même de l’établissement, suffisamment équipé pour produire ses propres médicaments. Le grand salon servait de dortoir pour les patients, qui usaient de la cour pour prendre l’air au calme.
Ce n’est qu’en 1920 que le bimaristane fut transformé en riad par une riche famille de commerçants et propriétaires terriens. 30 ans plus tard, le grand-père de Hassan en faisait l’acquisition.
Ce n'est qu'au début du 20 siècle que le verger a été vendu à la famille Berdaï, puis à celle de Benaâdada. Cette dernière, grande famille de commerçants venus de la région de Meknès y construira son Riad (sa maison familiale) en 1935 sur une superficie de 500 m2. Le Riad sera ensuite vendu à la famille Meknassi, puis à celle des Mazzouni en 1953. Mohamed Mazzouni l'acquit au mariage de ces deux fils ainés. Il s'y installa avec ses deux épouses et ses 13 enfants, dont deux fils nouvellement mariés.
Le Riad comprenait :
Au rez de chaussée :
La cuisine qui est l'actuel rez de chaussée de la suite Théodore Monod.
Le Hammam, actuellement la chambre Paul Emile Victor.
Un séjour, l’actuelle chambre Roald Amundsen.
Un salon où les deux fils mariés recevaient leurs invités, actuellement le salon bar.
La Koba de la première épouse (Zahra), actuellement la suite Marco Polo, devant laquelle Mohamed Mazzouni s'installait pour ses lectures nocturnes.
La Koba de la deuxième épouse (Lala Hachoum) : constituée des chambres Christophe Colomb, et Ibn Battouta.
La réserve pour les denrées alimentaires (blé, les huiles, ...) où se trouve l'actuel office de la cuisine.
Le patio et son bhou, lieu de divertissement où se retrouvait la famille.
Le bureau où Mohamed Mazzouni recevait ses employés, traitait ses affaires, recevait les recettes de son Hammam public, qui se trouve être l'actuelle réception de la Villa Nomade.
A l'étage :
Les appartements des familles des deux fils mariés. La famille de l'un occupait ce qui correspond aujourd'hui aux chambres Odette de Puigaudeau, David Livingstone, et l'étage de la suite Théodore Monod.
La famille du second fils occupait ce qui correspond aujourd'hui la suite Alexandra David Néel, et la chambre Charles de Foucauld. Les hôtes ou membres de la famille qui rendaient visite aux Mazzounis, séjournaient dans un espace pouvant être isolé du reste du Riad, devenu aujourd'hui la chambre Fernand de Magellan et la suite Antoine de Saint Exupéry.